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Nous devons créer notre propre CDC populaire.

Nous sommes des épidémiologistes et des médecins, des artistes et des biologistes. Nous sommes des enfants, des parents et des grands-parents. Nous vivons avec le Covid long et la perte d’êtres chers. Nous nous sommes réunis autour d’une même colère contre le mépris de notre gouvernement pour ses responsabilités sociales et de santé publique. Bien que beaucoup d’entre nous viennent de se rencontrer, nous héritons de centaines d’années de traditions de résistance.

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Cette tribune du People’s CDC est parue le 3 avril 2022 dans Le Guardian. People’s CDC est un collectif de praticiens de la santé publique, de scientifiques, de travailleurs de la santé, d’éducateurs, de militants et de personnes de tous horizons qui ont à cœur de réduire les effets néfastes du Covid-19. Le People’s CDC est géré par des bénévoles et est indépendant des intérêts politiques partisans et des entreprises. Leur site internet est consustable ici : peoplescdc.org.

*Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (en anglais : Centers for Disease Control and Prevention ou CDC) forment ensemble la principale agence fédérale des États-Unis en matière de protection de la santé publique

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Le CDC est soumis aux entreprises
et a perdu notre confiance.
Nous devons créer le nôtre.

Un nouveau variant Omicron, appelé BA.2, est en train de se répandre aux Etats-Unis. Anthony Fauci et d’autres ont déclaré qu’ils ne s’attendaient pas à une nouvelle flambée aux États-Unis, mais BA.2 provoque des flambées dévastatrices ailleurs, et les politiques et les gestes que nous pourrions adopter pour prévenir une telle flambée aux États-Unis ont été largement abandonnés, en partie grâce au nouveau système du CDC pour mesurer et faire connaître le risque de Covid.

Fin février, les Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) ont dévoilé un nouveau système de surveillance du Covid-19 basé sur ce qu’ils appellent les « niveaux communautaires ». En minimisant l’importance de la transmission du virus Sars-CoV-2, le nouveau système a instantanément fait passer au vert ce qui était une carte de pandémie encore rouge de la transmission Omicron – créant la fausse impression que la pandémie est terminée.

Publiées quatre jours avant le discours sur l’état de l’Union, les nouvelles mesures du CDC et le récit qu’elles ont créé ont permis au président Biden de proclamer la victoire sur le virus par un tour de passe-passe : le passage de la déclaration standard des transmissions communautaires à des mesures du risque fondées en grande partie sur des paramètres hospitaliers controversés. Les directives précédentes qualifiaient de « substantiel ou élevé » tout cas supérieur à 50 pour 100 000 personnes. Aujourd’hui, elles considèrent que 200 cas pour 100 000 personnes sont « faibles », pour autant que le nombre d’hospitalisations soit également faible.

Le passage d’une carte rouge à une carte verte qui en a résulté ne reflète aucune réduction réelle du risque de transmission. Il s’agit d’un simple tour rhétorique : un effort pour créer une histoire à succès qui permet de dissimuler les centaines de milliers de décès évitables et la menace permanente que représente le virus.

Ces nouvelles directives vont à l’encontre des pratiques de santé publique équitables et fondées sur des preuves, et ce, de trois manières fondamentales.

Premièrement, elles ne visent pas à prévenir la propagation de la maladie. En minimisant l’importance des nouveaux cas et en se concentrant plutôt sur les hospitalisations – un indicateur tardif – le système d’alerte remanié retarde l’action jusqu’à ce que les vagues soient bien avancées et que les conséquences en terme de maladies graves et de décès soient déjà engagées. Pour aggraver les choses, les tests à domicile ne sont pas enregistrés aux États-Unis, de sorte que le seul « indicateur précoce » dans le calcul du niveau de risque sous-estime considérablement le nombre réel de cas.

La justification de ce changement est que le virus serait en grande partie inoffensif – une affirmation qui non seulement ignore qu’un million de personnes sont déjà mortes rien qu’aux États-Unis, mais qui efface aussi complètement la réalité du Covid long. Des études indiquent que 10 à 30 % des infections au Covid se transforment en de multiples syndromes débilitants qui durent des mois, voire des années. Minimiser les risques du Covid pour le public ne fera qu’accroître ces conséquences dans nos communautés.

Deuxièmement, les nouvelles directives font plus que véhiculer un message sanitaire inapproprié ; elles transfèrent la charge de la responsabilité sur les personnes vulnérables. Au lieu de recommandations claires et fondées sur des preuves concernant le port du masque pour les personnes présentant un risque plus élevé, par exemple, le CDC conseille simplement aux personnes de consulter leur prestataire de soins local. Cette instruction suppose que les prestataires sont accessibles, bien informés et prêts à assumer la responsabilité personnelle de donner des conseils sur un virus potentiellement mortel dont le CDC était autrefois responsable. Dans un pays sans système de santé pour tous, ces hypothèses sont inadmissibles.

Avant même ces changements, Biden et le CDC déclaraient que les États-Unis étaient confrontés à une « pandémie de personnes non vaccinées », sans tenir compte des risques encourus par cell·eux d’entre nous qui vivent avec des maladies chroniques et des handicaps, y compris les personnes immunodéprimées, celles qui ont des revenus plus faibles et des emplois plus risqués, les membres des communautés indigènes, noires et latino-américaines, les personnes âgées, les femmes enceintes et les enfants, en particulier ceux de moins de cinq ans.

Ces populations vulnérables ont injustement eu trop peu accès aux vaccins, aux masques, aux tests et à l’air pur. Nombre d’entre elles ont été confrontées à des pratiques patronales les contraignant à travailler en personne dans des conditions dangereuses, tandis que les personnes plus privilégiées se protégeaient en travaillant et en apprenant à distance. Nous avons déjà vu les conséquences de ces inégalités : un nombre disproportionné de décès et de handicaps dans les communautés structurellement vulnérables. Maintenant, avec l’augmentation des transmissions, les inégalités vont continuer à se multiplier à mesure que la pandémie se poursuit.

Troisièmement, les directives sont ouvertement politiques. Les nouvelles recommandations visent à convaincre le public que cette pandémie est terminée alors qu’elle ne l’est pas. Elles suggèrent que nous tolérions les près d’un million de morts américains et que nous abandonnions trop rapidement les mesures qui empêcheraient ce nombre d’augmenter. Elles suggèrent que nous continuions à isoler les personnes souffrant de maladies chroniques et de handicaps, tandis que les autres retrouvent une vie « normale ». Elles suggèrent que le Covid long ne serait pas la crise en pleine croissance qu’il est en réalité, et notamment pour cell·eux qui sont entièrement vaccinés, malgré les risques documentés de symptômes persistants et parfois invalidants. Elles nient l’émergence quasi inévitable de nouveaux variants. Elles nient l’urgence de vacciner le reste du monde.

Avant les nouvelles directives des CDC, les personnes vulnérables étaient modérément protégées par des obligations locales de port du masque, des recommandations de mise à l’abri et un soutien général aux interventions de santé publique visant le bien-être collectif. Il y avait au moins une certaine urgence autour des campagnes de vaccination et des protections professionnelles contre le virus. On reconnaissait que le Covid était toujours une menace.

La modification des paramètres a permis à elle seule aux juridictions américaines de retirer les obligations de port du masque et aux gens de retirer leurs masques. Le succès des campagnes de santé étant interdépendant, les efforts de vaccination contre le Covid et d’amélioration de la ventilation dans les écoles et sur les lieux de travail se sont également essoufflés. Le passage du rouge au vert reflète le fait que les deux principaux partis américains ont tourné la page du virus en en tant que problème politique pour le présenter comme un changement dans la réalité de la pandémie. Et le passage du rouge au vert a également permis à la classe politique de se laver les mains des conflits potentiels au sujet du financement du Covid.

Certains prétendent que la Maison Blanche et le CDC « suivent la science » et font de leur mieux en ces temps difficiles. Mais si l’objectif est de prévenir l’infection et la souffrance, les recommandations actuelles ne sont pas conformes à la science ou à l’équité. Il est plus exact de dire qu’ils suivent l’argent. Ils ont fait passer les désirs des entreprises américaines avant les besoins de nos concitoyen·nes, et surtout des plus vulnérables.

Nous avons besoin d’un CDC qui donne la priorité à la santé des gens, et non à celle des grandes entreprises. Nous avons besoin d’un CDC du peuple. Et donc nous en avons formé un.

Nous sommes des épidémiologistes et des médecins, des artistes et des biologistes. Nous sommes des enfants, des parents et des grands-parents. Nous vivons avec le Covid long et la perte d’êtres chers. Nous nous sommes réunis autour d’une même colère contre le mépris de notre gouvernement pour ses responsabilités sociales et de santé publique. Bien que beaucoup d’entre nous viennent de se rencontrer, nous héritons de centaines d’années de traditions de résistance.

Nous accueillons ce travail avec humilité, reconnaissant qu’il y a encore beaucoup d’incertitudes sur les nouveaux variants, le Covid Long, et l’avenir des traitements. Mais nous en savons suffisamment pour rejeter avec certitude les politiques de santé publique inefficaces fondées sur des approches individualistes. Et nous sommes certain·es qu’il existe une autre voie – que l’action collective a toujours créé et peut maintenant créer une nouvelle voie pour répondre au Covid et aux autres pathogènes mortels.

Nous avons déjà publié une déclaration et des recommandations sur BA 2, une déclaration au sujet des nouvelles recommandations du CDC et nous avons réuni une coalition de groupes pour créer une boîte à outils axée sur l’équité afin d’aider les parents et les enseignant·es à exiger les meilleures protections Covid dans les écoles. Nous sommes en train d’élaborer des  » bulletins météo » COVID sur l’état de la pandémie, basés sur des données épidémiologiques plutôt que sur les exigences des entreprises américaines.

Nous exigeons une approche multidimensionnelle, collective et équitable de la pandémie. Nous estimons que personne n’est à l’abri d’une maladie contagieuse tant que nous ne le sommes pas tous·tes. C’est dans cette optique que nous continuerons à partager les dernières informations sur l’état de la pandémie, les outils d’action et les recommandations sur les mesures à prendre, élaborés pour et avec les organisations communautaires. Car ce n’est que par le pouvoir collectif que nous pourrons créer un monde nouveau, plus équitable, capable non seulement de contrôler les épidémies mais aussi de les empêcher d’apparaître.

Nous espérons que vous vous joindrez à nous.

Mindy Fullilove, MD, The New School

Zoey Thill, MD, MPH, MPP, Family Medicine Physician

Josh Garoon, PhD, University of Wisconsin-Madison

Mary Jirmanus Saba, Independent Filmmaker

Lucky Tran, PhD, March for Science

Elaine A. Hills, PhD, Independent Public Health Scientist

Jeoffry B. Gordon, MD, MPH, California Physicians Alliance

Douglas Farrand, University of Orange

Dannie Ritchie, MD, MPH, Brown University, Community Health Innovations of Rhode Island

Kaliris Y. Salas-Ramirez, PhD, The City College of New York

Sam Friedman, PhD, NYU Grossman School of Medicine

Molly Rose Kaufman, University of Orange

Daniel Joseph Wiley, The HUUB

Robert G. Wallace, PhD, Pandemic Research for the People

Margeaux Simmons, PhD, University of Orange

Edgar Rivera Colon, PhD, USC Keck School of Medicine

Publication originale :
The Guardian